Prise de parole de Nicole Dubré-Chirat sur le thème « Politique du médicament et pénuries » lors du débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale le 1er mars 2023.
Les phénomènes de pénurie de médicaments, à l’hôpital comme en ville, relayés par les médias alimentent l’inquiétude des patients en mettant sous pression le système de santé et les professionnels de santé.
Cet hiver, nous avons connu durant la triple épidémie de covid, grippe et bronchiolite des tensions sur les stocks de médicaments courants comme l’amoxicilline et le paracétamol, en particulier sous les formes prescrites aux enfants, source de soucis pour les parents. Toutes les classes thérapeutiques sont touchées : les antibiotiques, les anti-inflammatoires, les médicaments anticancéreux ou ceux pour les troubles du système nerveux.
Si ces tensions ne sont pas nouvelles, elles semblent désormais s’étendre des pharmacies de ville aux pharmacies hospitalières. Elles s’intensifient, comme l’illustre un rapport de 2019 de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, selon lequel elles ont été multipliées par vingt en dix ans. Enfin, elles concernent désormais les médicaments dits essentiels.
Les causes en sont connues et complexes : les difficultés d’approvisionnement des molécules – 80 % des principes actifs sont importés de Chine et d’Inde, contre 20 % il y a trente ans ; les mutations et la mondialisation de l’industrie du médicament – dans les années 1980, la France comptait près de 470 entreprises de production, contre seulement 247 aujourd’hui ; les quotas industriels ; la hausse inattendue de la demande.
Ces pénuries constituent une préoccupation majeure des pouvoirs publics en France et en Europe.
Ils proposent des réponses structurelles sans précédent, comme la Stratégie pharmaceutique pour l’Europe depuis 2020. Celle-ci encourage l’entraide entre États, assouplit les règles et incite à la relocalisation de médicaments en Europe. La feuille de route de la Commission européenne en la matière, annoncée pour mars, prévoirait aussi une liste de mesures contre les futures pénuries.
En France, l’adoption en 2021 du plan France 2030 mobilise des financements importants, de 7,5 milliards d’euros, pour la filière du médicament. Celui-ci vise à relocaliser, par exemple, la filière paracétamol grâce à l’implantation d’une unité à Roussillon, en Isère, ou encore à atteindre l’objectif ambitieux de produire vingt biomédicaments différents sur notre territoire en 2030.
Ces mesures, associées au système d’information et de partage des données de l’ANSM, permettent d’anticiper les risques et de signaler les ruptures.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a aggravé les sanctions financières des laboratoires qui ne signaleraient pas les risques ou les ruptures de stocks.
Quel est l’impact de cette mesure ? Conduit-elle à une meilleure anticipation ? Le système de gestion et de contingentement des stocks des médicaments dits essentiels ou encore d’intérêt thérapeutique majeur contribue à l’anticipation. Il faut toutefois tenir compte du report des prescriptions sur d’autres produits ; cet hiver, par exemple, avec la tension sur l’amoxicilline, les prescriptions de Pyostacine ont augmenté de 50 à 60 %. Les industriels ont donc augmenté la production de ce médicament en urgence et trouvé des solutions d’importation.
Face à cet enjeu structurel, il serait peut-être souhaitable d’ajouter à la liste des médicaments essentiels et prioritaires les médicaments de substitution. Il faut également se demander s’il est nécessaire d’étendre le système de contingentement à des médicaments dits non essentiels.
Afin de renforcer la coordination entre le secteur de la santé et l’industrie, un gel de la baisse des prix de certains génériques a été annoncé. La production locale des médicaments d’origine, dont les prix sont actuellement alignés sur ceux des génériques, doit aussi attirer notre attention : serait-il envisageable de faire jouer l’article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ?
C’est l’une des mesures du plan Innovation santé 2030, visant à concrétiser l’engagement de « renforcer la prise en compte de l’empreinte industrielle dans la fixation du prix du médicament et des investissements sur notre territoire » afin d’inciter à l’augmentation des capacités de production en vue de l’approvisionnement du marché national.
Enfin, quelles sont les conséquences des pénuries sur la santé des patients ? Que se passe-t-il lorsque le traitement a été substitué ou lorsque le patient a arrêté son traitement ? Les effets indésirables ou vitaux pour les patients ont-ils été nombreux ? Les centres régionaux de pharmacovigilance mènent des études pour en évaluer les conséquences ; ils déclarent manquer de données. Est-il prévu de renforcer leurs outils d’évaluation ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur les moyens d’améliorer la lutte contre les pénuries afin de garantir l’accès aux soins et de rassurer les patients ?
Pour retrouver la réponse de M. François Braun, Ministre de la santé et de la prévention et l'ensemble du débat, veuillez cliquer sur le lien suivant :